Corpus des textes fondateurs de la première Maçonnerie Française :

« Le secret des Francs-Maçons » (1744) – Présentation générale, lecture et commentaires – suite et fin

(Tenue du 8 juin 2013)

Roger Dachez

Nous voilà arrivé à la fin de la réception du candidat. Il est temps de se mettre « à table ». L’auteur, l’abbé Gabriel-Louis Pérau (1700-1767) décrit la procédure des agapes, le plan de table et les santés (la première est celle du roi). On peut aussi procéder à l’instruction des Frères par demandes et réponses. On chante également beaucoup puisque, dit le texte, « tout est permis en chantant ». Sous la monarchie théoriquement « absolue » règne, en réalité, une certaine liberté qui s’exprime souvent par les chansons, d’où la tradition des « chansonniers ». Mais pour libre qu’il soit, le franc-maçon, lui, est sage et ses « chansons (…) pures (…) annoncent (…) la gaieté et l’innocence ».

On rappelle que si c’est une « impolitesse » dans la société civile que de parler à voix basse à son voisin de table, c’est un « crime » chez les francs-maçons. Peut-être veut-on souligner ici qu’il ne doit pas y avoir de secret entre frères ! Et si un frère vient à commettre ce « crime », celui est alors « puni plus ou moins sévèrement » -surtout s’il récidive- par une amende. Dans la Loge du Grand Maître, il y avait un juge aux amendes. La peine peut aller jusqu’à l’exclusion. Pour se faire, le Vénérable Maître fait mettre les frères « à l'ordre », leur rappelle, comme on le fait à l’ouverture des travaux en forme de catéchisme c’est-à-dire par demande et réponse- pourquoi ils se sont fait recevoir Maçons et comment, à la suite de quoi il prononce « la sentence d'exclusion, en disant : (…) la loge est fermée ». Ainsi la faute d’un frère peut avoir comme conséquence extrême la fermeture de la Loge. C’est dire la gravité du « crime » qui entraîne une sanction exceptionnelle. On voit également que le Vénérable Maître peut agir dans sa Loge comme un souverain temporel.

Notons que l’expression « à l’ordre » peut signifier aussi bien « se mettre à l‘ordre » c’est-à-dire effectuer le signe pénal, qu’un simple rappel à être attentif ; que le premier catéchisme imprimé le sera cette même année 1744 sous le titre Le Catéchisme des Francs-maçons ; que les agapes sont intégrées à la tenue elle-même, ce qui est un vieil usage maçonnique, à une époque où la Loge ne se réunit que pour une réception (cf. les gravures de Lebas où l'on voit les frères debout ce qui laisse à penser que la cérémonie est courte). Sur ce point précis, on relira avec attention ce que nous disions sur les banquets lors de la tenue du 12 février 2011.

L’auteur aborde ensuite le thème de la « décadence et [la] ruine » de l'ordre, thème repris en 1745 dans Le Sceau rompu. Le texte a été rédigé juste après l’élection du nouveau Grand Maître, Louis de Bourbon Condé comte de Clermont, le 11 décembre 1743. Ce dernier, « va, dit-on, travailler à écarter de la confrérie maçonne, tout ce qui n’est pas digne d’elle ». En effet il semble que l’arrivée dans l’Ordre maçonnique de gens d'un niveau social plus faible pose problème, des gens, dit l’auteur, qui « n’auraient [même] pas eu les qualités requises pour être frères servants », c’est-à-dire simple apprenti. Mais quelles sont les qualités requises pour être un Maçon digne de ce nom ? Dans une société qui est encore une société de classe ou d’ordres, l’auteur n’hésite pas à affirmer que la « naissance » ne suffit pas pour être un vrai Maçon, il faut surtout de « l’éducation (…) de l’esprit et du cœur », bref un certain « mérite », idée que la Révolution va mettre en avant plus tard. La franc-maçonnerie, qui célèbre l’idéal maçonnique d’égalité tout en respectant la structure de la société qui l’a vu naître, exprime cette impossible conciliation. On connaît la suite.

Nous savons que la franc-maçonnerie anglaise des années 1740 est aussi en crise, mais dans un contexte un peu différent puisque les barrières sociales y étaient moins fortes qu’en France. Néanmoins, cette crise pourrait être un des facteurs qui favorisera l’émergence d’une nouvelle Grande Loge en 1751. Quant à la société anglaise la « Cotterie de deux sols », a-t-elle existé ? Ce qui est sûr, c’est qu’il y a de nombreuses sociétés fraternelles en Angleterre et que la Franc-maçonnerie n’en est qu’une, parmi d’autres, mais qui a bien réussi.

On remarque que les « patentes de Maîtres de Loge » sont accordées par le Grand Maître et non par la Grande Loge.

Enfin, l’auteur nous informe qu’à l’occasion du décès de précédent Grand Maître, le duc d’Antin, « les francs-maçons normands (…) ont ordonné une pompe funèbre dans l’église des Jacobins de Rouen ». Y avait-il vraiment 7 loges à Rouen en 1743 ? Y eût-il « un service pour le repos de [son] âme » ? Quoiqu’il en soit, même si la bulle papale de 1738 condamnant la franc-maçonnerie n’avait pas été enregistrée en France par le Parlement et n’avait donc, juridiquement, pas d’effet dans notre pays, il est probable que les francs-maçons français étaient gênés dans leur rapport à l’Eglise romaine.