Corpus des textes fondateurs de la première Maçonnerie Française :
« Le secret des Francs-Maçons » (1744) – Présentation générale, lecture et commentaires – 3e partie
(Tenue du 12 février 2011)
Roger Dachez
L’auteur commence à envisager la composition d’une loge. On a dit précédemment :
« Comme les particuliers Francs-Maçons peuvent s’assembler quand ils veulent, ils nomment un vénérable à la pluralité des voix, lorsque celui qui est nommé par le grand maître ne s’y trouve pas. »
Vous avez vu que dans la terminologie de la Maçonnerie parisienne, au début du XVIIIe siècle, il y a une espèce de flottement dans le vocabulaire. Il y a le Grand Maître, mais le « Grand Maître » est aussi souvent une expression que l’on utilise pour désigner « le Vénérable ». Donc, parfois, c’est le contexte qui permet de trancher. Et là, on nous explique quelque chose d’assez curieux. Si vous regardez bien en détail le texte, on nous dit que les Francs-Maçons désignent entre eux à la pluralité des suffrages – c’est-à-dire par la voie d’élections – un vénérable lorsque celui qui est nommé par le Grand Maître ne s’y trouve pas. N’oublions pas – nous y avons fait référence la fois précédente – que nous sommes, ici principalement à Paris et que, à Paris au XVIIIe siècle, les vénérables sont propriétaires de la patente de leur loge. Donc, ils sont vénérables à vie. Et, bien entendu, leur patente est identifiée par le Grand Maître. Ce qui veut dire que, de jure, ils ont été nommés par le Grand Maître. En fait, ils ont négocié avec l’entourage du Grand Maître et, très souvent, le Grand Maître ne s’est pas préoccupé de cette question, mais, c’est sous son nom que la patente est donnée. Donc, ça veut dire qu’il semble exister un usage – si on lit bien ce que l’on nous dit – qu’il faudrait peut-être documenter, en regardant les procès-verbaux de loges qui nous sont parvenus. On semble nous dire que, lorsque le vénérable en titre et de droit – qui est celui qui est propriétaire de la patente et qui, donc, a été nommé – pour une raison ou pour une autre, ne peut pas venir, ne peut pas être là, la loge, néanmoins, peut s’assembler en nommant ce que nous nous appellerions « un vénérable maître pro tempore » qui, lui, est élu. Cette procédure existe, principalement, pour les loges parisiennes et pour un certain nombre de loges dont les vénérables étaient parisiens – souvent, les loges d’aristocrates – et qui allaient tenir loge dans leur demeure de province et qui, évidemment, exportaient les coutumes parisiennes ; parce que, d’une manière générale, en province, très rapidement, les vénérables vont être élus ; ce qui n’empêchera pas certains vénérables d’exercer pendant très longtemps leurs fonctions.
« Si cependant il s’y trouvait un des deux grands officiers, qui sont ordinairement attachés à celui qui d’office est vénérable, on lui déférerait la présidence.
Note de bas de page : Ces officiers ne remplacent le vénérable que lorsqu’il a paru à l’assemblée, et que, pour affaire ou autrement, il est obligé de sortir ; car s’il n’a point paru, on en élit un parmi les maîtres, à la pluralité des voix. »
Vous avez compris le système. Si le vénérable en titre a commencé la tenue et que, pour une raison quelconque, il décide qu’il en a assez et qu’il s’en va, alors, dans ce cas, on désigne un des deux surveillants pour le remplacer. En revanche, s’il n’a point paru, on élit quelqu’un et ce ne sont pas les surveillants qui sont vénérables de droit.
Ce sont des coutumes qui nous paraissent étranges parce qu’elles sont sorties de l’usage maçonnique, mais je trouve cela plus intéressant par ce que ça ne dit pas que par ce que ça dit. Je précise mon propos. On a l’impression que, dans ces loges, le vénérable est assez évanescent et difficile à retenir au même titre, observez-le, que le Grand Maître à la même époque. Si on passe sur le cas du duc d’Antin qui a été un Grand Maître rapidement emporté par la maladie infectieuse et sur le cas du comte de Clermont, qui est Grand Maître de 1743 à 1771… tous les historiens ont passé leur temps à montrer que, en pratique, ses responsabilités sont exercées par des administrateurs, des substituts particuliers – qui ne sont pas toujours d’un niveau très relevé – et que lui ne s’occupe que très lointainement des choses. Et on a l’impression que ce qui est vrai du Grand Maître aurait pu être vrai d’un certain nombre de loges, en particulier à Paris, dans un cadre où ils étaient propriétaires de la patente de leur loge, et qui, finalement, n’exerçaient, peut-être, leurs fonctions que de loin en loin et, très souvent, se faisaient remplacer. De sorte, qu’il faut, quand on lit cela et qu’on le rapproche de cette pratique parisienne du vénérable à vie, apporter un petit correctif. On était vénérable à vie en titre ; il n’est pas certain que tous les vénérables à vie aient exercé constamment leurs fonctions. Ils étaient propriétaires de la patente… Là encore, toutes ces pratiques s’éclairent des pratiques sociales du temps. Je prends un exemple. Le comte de Clermont est Abbé de Saint Germain des Prés. Mais, bien entendu, il passe sa vie soit à la guerre, soit à la Cour, soit auprès des danseuses pour lesquelles il a une inclination particulière et, donc, il ne met jamais les pieds à Saint Germain des Près ! Tout simplement, parce qu’il est « abbé commendataire », c’est-à-dire qu’il perçoit les bénéfices de Saint Germain des Prés. Qu’est-ce que l’on fait dans ce cas-là, quand on est abbé commendataire ? On nomme ce que l’on appelle un « prieur conventuel ». C’est-à-dire que l’on nomme un véritable ecclésiastique qui, lui, exerce les fonctions mais n’a pas le titre d’Abbé et qui n’a pas, non plus, les revenus ; il ne perçoit qu’une petite partie des revenus de l’abbaye ; cette partie que l’abbé commendataire estime la plus appropriée et que l’on appelle « la portion congrue ». Évidemment, l’usage fait que l’abbé commendataire estime que la portion congrue – ce qui veut dire « la part la plus adaptée », c’est la plus réduite possible ; d’où le sens qu’a pris l’expression « la portion congrue » : « la part la plus restreinte » – mais ce n’est pas ce que ça voulait dire à l’origine. Donc, on a le sentiment que, dans les loges parisiennes, quelque chose de cet ordre a pu se passer : on était vénérable en titre en vertu d’une patente, mais on n’est pas obligé de présider toutes les tenues et, même quand on est à la tenue, quand on n’en a assez, on avait le droit de s’en aller en disant : « Écoutez, nommez quelqu’un ; moi, j’ai autre chose à faire ; j’ai des affaires, donc je m’en vais ! »
« Je dirai dans un moment ce qu’on entend par ces grands officiers.
Les loges sont composées de plus ou moins de sujets. Cependant, pour qu’une assemblée de Francs-Maçons puisse être appelée loge, il faut qu’il y ait au moins deux maîtres, trois compagnons et deux apprentis. »
On trouve, ici, une des premières attestations de cette fameuse formule : « Trois la forment, cinq la composent, sept la rendent juste et parfaite. » Il ne vous a pas échappé – car vous êtes d’excellents mathématiciens – que 2 + 3 + 2 ça fait 7. Et on trouve un certain nombre de catéchismes anglais précédents – qui sont repris dans les premiers catéchismes maçonniques français – où l’on dit qu’il y a une loge simple avec 3, une loge à 5 et une loge à 7 qui est parfaite. Vous voyez que les 7 ne sont pas sept maîtres. Il y a deux maîtres dans l’histoire, il y a trois compagnons et il y a deux apprentis.
« C’est en voyant le détail d’une réception que l’on saura la différence de ces degrés de maçonnerie.
Lorsque l’on est en loge, il y a au-dessous du vénérable deux officiers principaux, appelés Surveillants. Ce sont eux qui ont soin de faire exécuter les règlements de l’ordre, et qui y commandent l’exercice, lorsque le vénérable l’ordonne. Chaque loge a aussi son trésorier, entre les mains desquels sont les fonds de la compagnie. C’est lui qui est chargé des frais qu’il y a à faire ; et dans la règle, il doit rendre compte aux frères de la recette et des déboursés, dans l’assemblée du premier dimanche du mois. Il y a aussi un Secrétaire, pour recueillir les délibérations principales de la loge, afin d’en faire part au secrétaire général de l’ordre. »
C’est très intéressant parce que vous vous apercevez que nous ne sommes pas à la fin du XIXe siècle, en France, où il était de coutume, dans la Maçonnerie laïque et républicaine, de faire les tenues le dimanche à l’heure de la grand’messe pour bien montrer quel était l’ennemi de l’adversaire ou d’organiser un grand banquet le Vendredi Saint avec force cochonnailles pour montrer que l’on n’avait peur de rien. On est très loin de cet état d’esprit au moment où nous parlons-là. Là, vous observez que l’on parle de l’assemblée du premier dimanche du mois. Et, en effet, on observe, aussi bien en Angleterre qu’en France, dans la première moitié – après, ça s’est beaucoup diversifié – du XVIIIe siècle, qu’il est assez habituel de faire une assemblée le dimanche. Ça ne signifie pas du tout que ces frères veulent substituer la participation à la Sainte Messe par la tenue ; et, même généralement, c’est l’inverse parce qu’il y a des règlements, en particulier le Règlement de la Loge du Comte de Clermont en 1745 et en 1755, qui stipulent qu’à certaines fêtes, notamment à la fête de Pâques, lorsque les frères sont assemblés en loge, ils doivent, ensuite, assister à la messe en décors maçonniques. Il n’y a pas d’attestation que cela ne se soit jamais produit, mais, c’était, sans doute, imité d’une coutume anglaise parce que, là, en Angleterre, ça s’est produit. Mais, la grande différence, vous le savez bien, c’est que, en France, la Franc-maçonnerie n’aura, jusqu’en 1901, qu’un seul statut : tolérée par le gouvernement – alors que, en Grande Bretagne, elle a eu un statut légal reconnu et que, par ailleurs, il n’y a eu aucun conflit entre l’Église d’Angleterre et la Franc-maçonnerie puisqu’un très grand nombre de dignitaires de l’Église d’Angleterre était également Franc-maçon. Vous me direz qu’il y avait beaucoup d’ecclésiastiques Francs-Maçons au XVIIIe siècle en France, mais ils l’étaient parce que l’on n’avait pas enregistré la Bulle d’excommunication des Francs-Maçons ; en France, au XVIIIe siècle, le régime politique du pays est tout sauf une dictature de fer. La dictature de fer, c’est une invention des temps modernes. Le roi de France et son administration ont dix fois moins de pouvoir que le premier préfet d’un département d’aujourd’hui. Cela explique que les gens faisaient à peu près ce qu’ils voulaient. Mais, le fait est que, la Franc-maçonnerie, par rapport à l’Église, a une position très ambigüe, parfois inconfortable ; il y a quand même eu – notamment on connaît l’histoire de Monseigneur de Belzunce à Marseille qui fera un mandement et qui, même, fera des réclamations auprès de l’Intendant pour interdire – sans succès – des loges maçonniques.
P. P. – Concernant le premier dimanche, on lit à la page précédente : « Il n’y a d’assemblée fixe que tous les premiers dimanches de chaque mois. » Autrement dit, toutes les loges se réunissaient obligatoirement le premier dimanche et, les autres, c’était à la volonté des vénérables.
Roger Dachez – Et si l’on rapproche ces deux mentions – vous avez tout à fait raison – on soupçonne que ce sont, dans ces fameuses assemblées que nous appellerions « des tenues exceptionnelles ». Éventuellement le vénérable maître en titre n’est pas là et l’on nomme… Parce qu’il nous a été dit qu’ils peuvent… « Comme les particuliers Francs-Maçons peuvent s’assembler quand ils veulent, ils nomment entre eux un vénérable à la pluralité des voix, lorsque celui qui est nommé par le grand maître ne s’y trouve pas. » On peut imaginer une certaine cohérence dans tout cela. C’est-à-dire : l’assemblée normale est le premier dimanche du mois et, quand on veut s’assembler parce que les frères veulent s’assembler en dehors de là, le vénérable dit : « Moi, j’ai trop à faire » et à ce moment-là, on prend un vénérable pro tempore. C’est, peut-être, de cette manière qu’ils se sont organisés. On n’a jamais fait ce petit travail – ce ne serait pas une révolution dans la documentation – mais ça mériterait d’être vérifié. On a quelques comptes rendus de loge du XVIIIe siècle et il sera intéressant de regarder, tout simplement, les dates de réunion. En fait, les loges, en moyenne, au XVIIIe siècle, s’assemblent une à trois fois par mois ; c’est très variable. Mais, moi, je n’ai jamais regardé en détail les jours de réunion : est-ce que l’on retrouverait cela ou pas ? Ce serait curieux de le regarder.
« Un vénérable, quoique chef de loge, n’y a d’autorité qu’autant qu’il est lui-même zélé observateur des statuts ; car s’il tombait en contravention, les frères ne manqueraient pas de le relever. Dans ce cas, on va aux opinions, (ils appellent cela balloter) et selon l’espèce du délit, la punition est plus ou moins grave. Cela pourrait même aller jusqu’à le déposer et l’exclure des loges, si le cas l’exigeait. »
Et cela est très intéressant parce que, encore une fois, il y a tout un discours historiographique qui n’est pas nécessairement fondé sur des sources et qui est une interprétation globale de ce qu’était la Maçonnerie au XVIIIe siècle, et on nous dit : « La Maçonnerie a préparé la démocratie, la République et, pourquoi pas, la Révolution. » Évidemment, quand on regarde tout cela en détail, on s’aperçoit que ça ne repose sur rien. Néanmoins, il faut, quand même, insister sur le fait que, sous l’Ancien Régime, combien y a-t-il de structures, d’assemblées où le responsable, même s’il n’est pas élu – il peut l’être dans certains cas, on l’a vu ici – non seulement il n’a pas le droit de faire tout ce qu’il veut, mais peut même, à la pluralité des suffrages, être démis s’il outrepasse ses droits. Essayez de regarder dans les institutions de l’Ancien Régime ; il n’y a pas beaucoup d’endroits où cela soit possible. Dans un monastère, l’Abbé est abbé à vie ; il y a de multiples exemples où l’Abbé fait « tourner en bourrique » ses moines ; ils n’y peuvent rien ; même, parfois, ils se révoltent, mais, généralement, ils n’ont pas raison. Et on pourrait multiplier les exemples : dans les parlements, c’est exactement la même chose. Donc, il y a, quand même, quelque chose d’intéressant : dans la loge maçonnique, on dit que l’on doit respecter les règlements ; s’il y a un conflit, la loge « ballote » - elle vote – et, si le vénérable outrepasse ses droits, on peut aller jusqu’à l’exclure – notamment le déposer – des loges et de la Franc-maçonnerie.
Ce qui veut quand même dire que la sociabilité démocratique est venue d’Angleterre… – parce que, à l’époque, c’est cela : il n’y a qu’en Angleterre où tout est électif, où tout est devenu électif, où plus personne n’est nommé à des postes importants ou seulement à des postes honorifiques. On est à une époque où on élit les juges, les chefs de la police, les représentants au Parlement qui votent l’impôt. C’est un système politique sans équivalent à cette époque-là. Je pense que l’on retrouve ce mode de fonctionnement qui est repris dans les loges en Angleterre, importé en France. Et, on ne peut pas, malgré tout, sans tomber dans les excès de cette historiographie globalisante, floue… ne pas reconnaître que, pendant des décennies au XVIIIe siècle, il a existé un endroit où l’on s’est accoutumé à tenir compte de l’avis d’une assemblée, à décider à la pluralité des suffrages et à dire qu’un chef n’est pas un chef s’il outrepasse ses droits et qu’il ne respecte pas les règles et que l’endroit où l’on a dit cela et où l’on a cultivé cette vision de la sociabilité, c’est la Franc-maçonnerie et nulle part ailleurs. On peut quand même considérer que, même si la Franc-maçonnerie n’a pas été le déclencheur, la cause immédiate ou lointaine de l’évolution démocratique et de la Révolution française, incontestablement, elle a introduit un nouveau type de sociabilité. Et c’était une deuxième thèse – parce que la thèse du complot, ça a paru à la fin du XVIIIe siècle et ça a été de plus en plus documenté au XIXe de la part des ennemis de la Franc-maçonnerie – si cette thèse du complot n’est pas recevable, par contre, un certain nombre d’adversaires intellectuels de la Franc-maçonnerie au XIXe siècle – je pense notamment à Augustin Cochin qui a écrit à la fin du XIXe – début du XXe – avait substitué une thèse plus subtile qu’il appelait « la thèse de la machine » - pas « de la machination », c’est-à-dire du complot – « la thèse de la machine » ! En effet, la Franc-maçonnerie n’a pas voulu la Révolution ; en effet, elle n’a pas comploté pour détruire l’Ancien Régime et lui substituer un régime républicain ou démocratique. Mais, en habituant un certain nombre d’hommes qui appartenait d’ailleurs aux couches dominantes de la société – la bourgeoisie, la petite aristocratie, la noblesse de robe, les magistrats… - aux débats et à la pluralité des suffrages, elle a créé, dans ce milieu, un état d’esprit qui les rendait réceptifs aux idées nouvelles. Et, on peut accorder que, sur ce point, Augustin Cochin n’a probablement pas tort. D’ailleurs, dans le seul ouvrage qui a envisagé, non pas les origines économiques, les origines politiques, les causes immédiates de la Révolution française, mais les origines intellectuelles de la Révolution française qui est un ouvrage de 1947 de Daniel Mornet que l’on peut encore lire, qui est gros, mais qui est tout à fait passionnant – Mornet, qui n’a aucun apriori dans cette affaire-là, ne mentionne pas la Franc-maçonnerie comme LA cause fondamentale de la Révolution française. Il écrit un passage – il s’intéresse aux causes intellectuelles ; il ne s’intéresse pas au complot politique – où il dit que, parmi les sources intellectuelles de la Révolution française, pour une partie de la société française, il y a la Franc-maçonnerie qui, d’ailleurs, n’est pas la seule à faire ça – il y a les sociétés littéraires, les cabinets de lecture où, d’ailleurs souvent, on retrouve des Francs-Maçons, les sociétés académiques ; c’est un milieu plus qu’autre chose – mais, la Maçonnerie a favorisé cette culture du débat, de l’élection, de la décision à la pluralité des suffrages.
F. F. – On trouve assez facilement l’ouvrage de Cochin. C’est « Les sociétés de pensée et la démocratie moderne » (1921, Réédité en 2011).
Roger Dachez – Il a été souvent réédité par des officines d’éditions d’extrême droite parce que, évidemment, ils ont compris que la thèse du complot était très difficile à soutenir, donc ils se raccrochent aux branches avec une thèse plus acceptable : celle de Cochin.
« Lorsque c’est un frère qui a prévariqué, le vénérable le reprend ; et il peut même, de sa propre autorité, lui imposer une amende qui doit être payée sur le champ : elle est toujours au profit des pauvres. Le vénérable n’en peut user ainsi que pour les fautes légères ; lorsqu’elles sont d’une certaine importance, il est obligé de convoquer l’assemblée pour y procéder. On verra plus loin la cérémonie singulière qui s’observe lorsqu’il s’agit de l’exclusion d’un Franc-maçon. J’observerai seulement ici, que lorsqu’un frère est exclu, ou que sans être exclu, il a causé à la société un mécontentement assez grave pour qu’on sévisse contre lui, on ne le fait pas pour cela sortir à l’instant de la loge, on annonce seulement qu’elle est fermée. On croirait d’abord que fermer une loge désignerait que la porte en doit être bien close, c’est tout le contraire. Lorsqu’on dit que la loge est fermée, tout autre qu’un Franc-maçon peut y entrer, et être admis à boire et à manger, et causer de nouvelles. »
Vous voyez qu’au détour des phrases – on a l’impression que l’on parle d’autre chose – on nous apporte une information extrêmement intéressante. N’oubliez pas : qu’est-ce qui fait la supériorité de l’historien sur ceux qui ne sont pas historiens ? Tout le monde peut le devenir en appliquant cette méthode : c’est celui qui lit ce que personne ne lit jamais. Faire de l’histoire consiste à lire des pages et des pages, des pages et des pages de texte 90 % du temps inintéressantes mais que personne ne lit. Et puis, au détour d’une page, on tombe sur une petite perle. C’est cela qui fait le miracle de l’histoire.
On nous explique que, quand la loge est fermée, les travaux sont terminés, on n’est plus « en Maçonnerie » et que, par conséquent, on peut admettre toute personne, même qui n’est pas franc-maçonne pour manger, pour boire et causer de nouvelles. Et là, on se rattache à ce qui a été dit tout à l’heure : effectivement, le travail maçonnique, au sens strict du terme du XVIIIe siècle, ce sont exclusivement les cérémonies, l’ouverture, la fermeture – tout cela est très rapide – mais, qu’est-ce que l’on fait au cours de ces banquets interminables ? Là, nous avons une information : on y mange, on y boit – on avait compris – on y cause de nouvelles et on peut même le faire avec des gens qui ne sont pas Francs-Maçons.
Nous savions, par un rapport d’un exempt de police, en 1745, qui interrompt les travaux d’une loge au moment du banquet, comme quasiment toujours, qui dit cela d’une manière très jolie : « Il me semble que, parmi l’assemblée, une trentaine de gentilshommes qui étaient attablés, il y avait quelques personnes du sexe. » Donc, nous savions qu’il y avait des femmes, en tout cas, au moment des agapes. Les autres étaient des hommes, mais, on peut poser la question : étaient-ils tous Francs-Maçons ? Ce n’est pas certain. En tout cas, on ne nous dit pas que dans les agapes, il ne doit y avoir que des Francs-Maçons.
« Ouvrir une loge, en termes Francs-Maçons, signifie qu’on peut parler ouvertement des mystères de la maçonnerie, et de tout ce qui concerne l’ordre ; en un mot, parler tout haut sans appréhender d’être entendu d’aucun profane (c’est ainsi qu’ils appellent ceux qui ne sont point de la confrérie.) Alors personne ne peut entrer ; et s’il arrivait que quelqu’un s’y introduisît, on fermerait la loge à l’instant, c’est-à-dire, qu’on garderait le silence sur les affaires de la maçonnerie. Au reste, il n’y a que dans les assemblées particulières que l’on risque d’être quelquefois interrompu ; car, lorsqu’on est en grande loge, toutes les avenues sont si bien gardées, qu’aucun profane ne peut y entrer. »
Donc, vous voyez – et, là aussi, si on le relit – c’est la deuxième règle, il ne faut jamais séparer un texte de son contexte – il nous dit que les assemblées particulières (c’est-à-dire les loges) peuvent être interrompues. Nous le savons très bien – c’est parfaitement documenté – et nous savons parfaitement qu’il y a des rapports d’exempts de police en 1740-1745 qui commencent à paraître – il y a eu deux constats de « persécution » ; ce n’est pas allé très loin – où ils ont interrompu les travaux des loges. Mais, par contre, on nous dit « en grande loge » ; on sait, qu’en décembre 1736 ou en décembre 1743, il y a des assemblées de Grandes Loges : lors de l’assemblée du 11 décembre 1743, on va élire Louis de Clermont, Grand Maître. Et on nous dit, là : « On ne va pas être dérangé parce que les avenues sont bien gardées ». Vous croyez que c’est uniquement parce que les avenues sont bien gardées ? Moi, je ne crois pas. C’est simplement parce que la Grande Loge est présidée par un prince du sang et que les exempts de police, quand il y a du prince du sang dans l’air, vont voir ailleurs… C’est tout ! Alors que la loge de petits boutiquiers qui est dirigée par un cordonnier ou un fabricant de plumes ou un coiffeur – je prends ces professions à dessein parce que nous connaissons un certain nombre de vénérables qui ont eu maille à partie avec la police à Paris en 1745 et sont plumassiers ou perruquiers – et bien, là, on n’hésite pas. Ce n’est pas parce que les tenues de Grande Loge étaient mieux gardées… c’est parce qu’il y avait de la belle aristocratie et du beau linge… On le voit très bien parce que, dans les rapports d’exempts de police en 1745, quand on interrompt les travaux d’une loge, ils s’aperçoivent tout de suite qu’il y a, là, des gens – par leur façon de s’habiller, par leur allure… L’exempt dit : « Les assemblées sont interdites par le gouvernement. Un gentilhomme s’est présenté, a mis la main à l’épée et a dit : Monsieur, nous ne pensons pas mal faire. » On imagine sur quel ton… « Il s’agit d’un particulier dont nous n’avons pas pensé à relever l’identité ». A partir de là, la légende – reproduite par de nombreux ouvrages au XIXe siècle et, notamment, par L’histoire pittoresque de la Franc-maçonnerie de Clavel qui en avait fait même une gravure – dit que c’était le duc d’Antin qui se trouvait là. Évidemment, aucun document de l’époque ne permet de soutenir cette idée ; mais, là, c’est trop beau… Si c’était le duc d’Antin, ce serait trop beau… Comme le rappelle souvent notre Frère P. G., s’inspirant d’une réplique du fameux film L’homme qui tua Liberty Valance : « La légende est plus belle que la réalité… »
Si cependant, malgré toutes les précautions, quelqu’un était assez adroit pour s’y introduire, ou que quelque apprenti suspect parût dans le temps qu’on traite des mystères de la maçonnerie, le premier qui s’en apercevrait, avertirait les frères à l’instant, en disant il pleut : ces deux mots signifient qu’il ne faut plus rien dire de particulier.
Dans ces assemblées solennelles chaque frère a un tablier, fait d’une peau blanche, dont les cordons doivent aussi être de peau. Il y en a qui les portent tout unis, c’est-à-dire, sans aucun ornement ; d’autres les font border d’un ruban bleu. J’en ai vu qui portaient, sur ce qu’on appelle la bavette, les attributs de l’ordre, qui sont, comme j’ai dit, une équerre et un compas. »
C’est très intéressant parce que, quand vous voyez les fameuses gravures de 1745 qui sont une illustration des deux divulgations de 1744 et de 1745 et qui montrent avec un luxe extraordinaire de détails les différentes phases de la cérémonie de réception d’Apprentif et de Maître – vous observez qu’il n’y a pas de gravure sur la réception de Compagnon puisque la première réception est la réception d’Apprentif-Compagnon et que la réception de Compagnon ne consiste, dans ce cas-là, qu’en une seule chose : faire trois fois le tour de la loge et de donner le mot et le signe de Compagnon ; donc, la cérémonie de Compagnon n’existe virtuellement pas. Ces gravures qui sont attribuées à Le Bas – c’est un graveur connu de l’époque ; elles ne sont pas signées, mais il y a eu une attribution très sérieuse qui a été faite par un historien de l’art à la fin du XIXe siècle – nous montrent les frères avec, tous, un même type de tablier qui est comparable avec ce que l’on observe, à la même époque, quelques années avant, sur les gravures anglaises, c’est-à-dire un grand tablier de peau avec une bavette et aucun ornement. A la Grande Loge de Londres, en 1727, puis en 1731, il y a deux règlements successifs qui disent que les officiers vont avoir des cordons de soie blanche et puis, après, elle devient bleue. Et on nous dit que les tabliers peuvent être bordés de soie blanche et puis, après, on nous dit bleue. Ça reste extrêmement flou. Et puis, un peu plus tard, on donnera aux Grands Stewards le droit d’avoir une couleur particulière qui sera le crimson, c’est-à-dire le cramoisi. Mais, on ne va pas au-delà. On sait, bien entendu, qu’au cours du XVIIIe siècle, il y a eu une diversification considérable du dessin – et notamment dans le dernier tiers du XVIIIe siècle sur les tabliers anglais. Et ils ne seront standardisés dans le modèle anglais que nous connaissons aujourd’hui qu’après l’Union de 1813. En France, il n’y a aucune prescription nulle part et ce sont uniquement les usages qui vont faire que l’on va ornementer de plus en plus les tabliers, que très rapidement – et là encore, il faut rapprocher les textes d’une autre recherche qui est l’histoire de la passementerie ; vous allez au musée du Grand Orient de France, vous regardez les collections de tabliers et vous vous apercevez que plus on avance dans le siècle du XVIIIe et plus les tabliers ne sont plus de peau, mais sont de satin, de soie et sont brodés. Tout simplement, parce que c’est plus facile de broder et d’ornementer sinon sur le tablier – on en voit – la seule possibilité que l’on ait, c’est de peindre sur le tablier ; mais, on ne peut pas broder, ou très difficilement, le tablier de peau. Donc, on voit les tabliers qui deviennent de soie ou de satin et qui deviennent de plus en plus ornementés. Simplement, on nous dit, en 1745, une information intéressante : on ne nous dit pas que les tabliers sont richement ornementés, on nous dit que, généralement, ils sont de peau blanche ; on ne mentionne aucune différence entre le tablier d’Apprenti, de Compagnon et de Maître – rigoureusement aucune. On nous dit simplement que certains – on a l’impression que ça leur fait plaisir – sur la bavette, ils ont ajouté les ornements de l’ordre qui sont l’équerre et le compas. Vous avez une indication très simple : vous voyez un tablier maçonnique du XVIIIe siècle, s’il est en peau ou s’il est très peu ornementé, c’est un tablier antérieur à 1750. C’est un des arguments de datation extrêmement simple : plus le tablier est simple, plus il est en peau, plus il a de chances d’être antérieur à 1750. Et, après, on voit la substitution progressive des tabliers de peau par des tabliers de satin ou de soie et puis l’ornementation de plus en plus importante ; dans le dernier quart du siècle, vous connaissez les fameux tabliers de Maîtres avec le temple antique, avec tous les objets et le tablier du Rite Français Traditionnel qui a été, lui fixé, par le Tuileur du Rite Français Traditionnel, s’inspirent des tabliers du dernier quart du XVIIIe siècle.
X. X. – Dans la Loge Mary’s Chapel, il y a une boîte de tabliers de peau sans aucun dessin mis à la disposition de tous les frères qui arriveraient au dernier moment. Tous ces frères, indépendamment de leur grade, portent ce tablier de peau qui ressemble étrangement à ce qui est décrit là-dedans. Il est assez grand, assez rond et sans aucune gravure.
Roger Dachez – Et, d’ailleurs, c’est l’habitude aux États-Unis. Aux États-Unis où l’on n’est membre de la loge qu’au grade de Maître, on propose aux Apprentis des petits tabliers blancs et, pour les Maîtres, des petits tabliers blancs bordés de bleu et, c’est une certaine époque où ils étaient en peau, après en satin, après en tissu. Maintenant, l’efficacité américaine aidant, ils sont en textile non tissé, jetables, à usage unique… On arrive et on se sert dans une boîte et on met le tablier en textile non tissé à usage unique…
X. X. – J’ai vu, lors d’une tenue de « L’Équerre », il y a quelques semaines, un jeune visiteur qui a été initié aux trois grades au Japon. J’ai vu son tablier de Maître – blanc – en peau avec un rabat, avec une bavette et, sous la bavette en relevant : « Reçu le …, Passé le … Élevé le … ». Cela veut dire qu’il n’a que ce tablier et je n’ai pas réussi à comprendre à quel rite c’était : York peut-être ?
Roger Dachez – En fait, la Grande Loge du Japon a été créée par des Américains en 1945 et elle suit exactement le Rite d’York américain et c’était tellement américain qu’il a fallu attendre les années 1980 pour qu’il y ait un Grand Maître japonais. Au moins pendant les quarante premières années, le Grand Maître était Américain et c’était, bien entendu des militaires américains – de même que Mac Arthur avait gouverné le Japon pendant plusieurs années, les Américains avaient installé leurs bases – il y avait eu, à l’époque un article dans The Square qui s’appelait encore Masonic Square ; c’est un marqueur : c’est avant 1985 – et on voyait le premier Grand Maître japonais de la Grande Loge du Japon accosté de ses deux Grands Surveillants qui étaient des gaillards américains d’un mètre quatre-vingt-quinze – lui, évidemment, c’était un « grand Japonais » d’un mètre cinquante-cinq ; c’était un Grand Maître un peu petit ! Je pense que l’explication est là : ils ont les pratiques maçonniques des Américains.
« Lorsque l’on se met à table, le vénérable s’assied le premier en haut du côté de l’orient. Le premier et le second surveillant se placent vis-à-vis du vénérable à l’occident. Si c’est un jour de réception, les récipiendaires ont la place d’honneur, c’est-à-dire, qu’ils sont assis à la droite et à la gauche du vénérable.
Les jours de réception, le vénérable, les deux surveillants, le secrétaire, et le trésorier de l’ordre, portent au cou un cordon bleu taillé en triangle… »
On nous précise bien que ce sont des cordons qui sont bleus et taillés en triangle.
Note de bas de page : « Il n’est pas absolument nécessaire que le cordon soit de la figure dont on le décrit ici. J’en ai vu que l’on portait comme le cordon de la Toison d’or ; cela forme toujours une espèce de triangle, mais il n’est pas si exact que celui dont on vient de parler. »
Effectivement, il existe des ordres de chevalerie, mais maintenant que le musée de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie a été entièrement refait à l’Hôtel de Salm (juste en face d’Orsay) – vous devez le visiter parce que c’est absolument fastueux – et on voit un très grand nombre de décors d’Ordres de chevalerie d’Ancien Régime en France et vous voyez, très souvent, qu’il y a un collier de tissu mais qui n’est pas exactement comme cela [comme les cordons des officiers de loge]… c’est-à-dire qu’il est plus arrondi ; c’est une espèce de collier de tissu et non pas de sautoir en triangle. Mais, on peut faire l’un ou l’autre. Ils sont bleus, taillés en triangle tels que les portent les Commandeurs de l’Ordre du Saint-Esprit qui sont ou d’Église ou de Robe.
On s’interroge souvent sur la nature du bleu. Je ne vais pas faire l’histoire du bleu dans les décors maçonniques, mais j’ai fait, un jour, une petite note que je n’ai pas publiée qui montre comment on est parti du bleu clair pour aller au bleu foncé dans certains cas en Angleterre et pourquoi un bleu clair est probablement passé en France. Mais, en peu de mots, vous savez que la clé pour obtenir l’explication de la couleur des décors maçonniques, c’est, à un moment donné, dans un pays donné, de se demander quel est l’Ordre de chevalerie le plus élevé. Et ça marche parfaitement parce que l’on s’aperçoit que les décors de Grande Loge en Ecosse sont verts, comme l’Ordre du Chardon, que les décors de Grande Loge en Angleterre sont garter blue, le bleu profond de l’Ordre de la Jarretière et que le bleu clair qui est ici – c’est très facile à vérifier quand vous allez au musée de la Légion d’honneur – c’est le bleu que l’on appelait « le bleu de Saint-Esprit » - le bleu azur qui est un bleu clair. On pourrait même aller plus loin parce qu’on s’interroge de savoir pourquoi les décors du Rite Ecossais Ancien et Accepté des ateliers dits « bleus » sont rouges ; tout simplement, parce qu’il n’existait pas de grades du Rite Ecossais Ancien et Accepté jusqu’en 1804 puisque, aux États-Unis et dans les Antilles, on pratiquait la Maçonnerie anglaise avec des décors bleu ; mais, quand on est arrivé en France, suite à la rupture du Concordat qui a duré quelques mois entre le Suprême Conseil et le Grand Orient, il a fallu que le Suprême Conseil écrive les rituels de ses grades bleus et de ses propres loges, ils ont voulu se différencier dans les décors de ceux du Grand Orient. Et, nous sommes en 1804 et qu’est-ce qui s’est passé en 1803 ? Qu’est-ce que l’on vient de créer en 1803 ? L’Ordre de la Légion d’Honneur…
P. P. – Au début du paragraphe, on dit « si c’est un jour de réception ». Ce qui voudrait dire, a contrario, qu’il y a des jours où il n’y avait pas de réception ! Alors, qu’est-ce qui se passait ?
Roger Dachez – On n’en sait rien. Même les gravures ne nous renseignent pas parce que, quand on regarde les gravures de Le Bas, on s’aperçoit que le vénérable a un cordon, que les deux surveillants ont un cordon ; on voit même très bien les bijoux. On repère les bijoux des trois officiers principaux, on repère les plumes en sautoir du secrétaire … Mais, qu’est-ce que nous présente Le Bas ? Une tenue de réception. Donc, c’est cohérent avec ce texte : « le jour de réception ». Est-ce que les autres jours, il n’y avait pas de collier ? Moi, je n’ai jamais vu, au XVIIIe siècle, aucune gravure, aucune représentation de tenue de loge où les officiers principaux n’aient pas leur sautoir. C’est une donnée, mais c’est, peut-être, une liberté d’artiste. En tout cas, vous avez raison de le mentionner, on a l’air de nous dire que c’est vrai le jour de réception et pas les autres jours.
« Au bas du cordon du vénérable pendent une équerre et un compas, qui doivent être d’or, ou du moins dorés. Les surveillants et autres officiers ne portent que le compas. »
C’est intéressant. On s’aperçoit que l’indication précise des bijoux des trois premiers officiers apparaît dans les procès-verbaux de la Grande Loge de Londres justement entre 1727 et 1731. Il y a eu un certain flou. Alors, il faut toujours se poser une question quand on lit les divulgations imprimées. Il y a une différence entre les divulgations et les rituels à usage privé. Dans tous les textes anglais, il faut bien distinguer les textes imprimés qui sont destinés à dire quelque chose au public et souvent dans un but qui n’est pas très sympathique à l’égard de la Franc-maçonnerie et par des gens qui n’ont pas forcément une information de première main. Et, deuxièmement, les documents privés qui, clairement, sont pour l’usage d’une loge et qui, là, sont des documents a priori beaucoup plus fiables ; parce que ce sont des documents que l’on a pour soi et on a intérêt à ce qu’ils soient fiables. Donc, quand on a une source imprimée – d’autant plus que, là, l’auteur nous dit qu’il n’est pas Franc-maçon ; on dit que l’abbé Pérau est devenu Franc-maçon après – on peut se poser la question de savoir si l’information est juste. Première question. La deuxième question : il a l’air de dire, très sérieusement, qu’il y a une équerre et un compas entrecroisés pour le vénérable et des compas pour les autres officiers. Nous sommes en 1745 : est-ce que les usages fixés en Angleterre une quinzaine d’années avant se sont imposés, sont parvenus ? On n’en sait rien. Ce qui est clair, néanmoins, c’est que sur les tableaux de loge qui sont annexés à ces divulgations, l’attribution de l’équerre du niveau et de la perpendiculaire est tout à fait claire. Symboliquement, l’attribution est tout à fait claire ; maintenant, il semble y avoir – il n’a pas inventé cela – un flou artistique sur la nature des bijoux. Et, d’ailleurs je n’insisterai pas parce que ça a un grand rôle dans la structure de la loge de Maître au Rite Français Traditionnel, il y a une fameuse gravure de Cole qui date de 1731 et sur laquelle on voit trois personnages situés devant trois grands piliers et qui sont, manifestement, un vénérable et deux surveillants et le vénérable a un compas, un surveillant a une équerre et le troisième officier a une perpendiculaire. N’oublions pas que, de nos jours encore, en Angleterre, le bijou du Grand Maître est le compas sur un arc de cercle. Et nous avons un très grand nombre de catéchismes maçonniques anglais qui a été repris dans certains textes français du début de la Maçonnerie en France où on nous dit, à propos du compas : « Avez-vous vu votre Maître aujourd’hui ? – Comment était-il habillé ?... » et on décrit un compas. Donc, l’association Maître-compas est vraiment constante. On ne peut, sur cette mention-là, que constater l’anomalie, l’incohérence, la divergence, mais, mon sentiment est que l’on n’a pas inventé cela.
« Les lumières que l’on met sur la table, doivent toujours être disposées en triangle ; il y a même beaucoup de loges, dans lesquelles les flambeaux sont de figure triangulaire. Ils devraient être de bois, et chargés des figures allégoriques qui ont trait à la maçonnerie. Il faut que les statuts n’ordonnent point l’uniformité sur cet article ; car j’ai vu plusieurs de ces flambeaux qui étaient tous de différente espèce, tant par rapport à la matière dont ils étaient composés, que par la figure qu’on leur avait donnée.
La table est toujours servie à trois, ou cinq, ou sept, ou neuf services. Lorsqu’on a pris les places, chacun peut faire mettre une bouteille devant soi. Tous les termes dont on se sert pour boire sont empruntés à l’artillerie. »
P. P. – On a l’impression que l’on a été influencé par les usages anglais, mais aussi par les usages français. Il y a là un mélange. Est-ce que la pratique française a été tout à fait comme cela ?
Roger Dachez – Une autre impression que j’ai, c’est que l’on accorde d’emblée aux travaux de table une importance extrêmement considérable. Il y a énormément de pages… Ça veut dire que dans la sociabilité maçonnique du XVIIIe siècle, on ne cessera de dire à quel point les agapes ne sont pas que des ripailles ; c’est le lieu essentiel des échanges, des rencontres y compris – nous l’avons saisi au détour d’une phrase –, peut-être, avec des gens qui ne sont pas Maçons. Après tout, ce sont peut-être des candidats envisagés ou envisageables pour la loge.
X. X. – Dans la troisième édition du livre de Travenol, il y a, pour la première fois, des gravures de banquet où l’on voit les participants à l’ordre avec leur tablier. Qui des profanes ? Et puis il y a des instruments de musique posés…
Roger Dachez – On avait vite fait de régler le problème. Précisément, les frères à talents étaient des frères qui étaient reçus au grade d’Apprenti gratuitement ; ils n’allaient pas au-delà et puis ça avait demandé un quart d’heure ! On a besoin d’un violoniste ; ça y est, on a un violoniste et dans un quart d’heure, ça va être un Franc-maçon. Nous sommes, là encore, dans le schéma du XVIIIe siècle où les gens ne sont pas tous égaux.